La Dernière Escale

Publié le par fredo

Il avait parcouru tous les océans du monde et les embruns qui avaient sculpté son visage abrupt étaient pour lui aussi familiers que la brise printanière .On le disait taciturne et solitaire car nul ne l’avait jamais imaginé capable de sentiment pour une femme autre que sa propre mère qui était décédée la veille de ses dix-huit ans.

En effet, c’est le jour de sa majorité qu’il embarqua sur une goélette, quittant le port de Concarneau pour sa première traversée au long court à la conquête de terres inconnues.

Il rêvait depuis sa plus tendre enfance de découvrir le monde à la conquête de nouveaux horizons.

Ainsi son destin l’emmena découvrir le globe, sur les routes que ses ancêtres avaient découvertes mais dont la nature gardait les clefs.Cap Horn, Bonne espérance et Gibraltar étaient pour lui des cicatrices indélébiles où là mer avait marqué sa chaire à jamais.

Son grand navire était connu dans tous les ports, et ses pêches fructueuses faisaient blêmir de jalousie bon nombre de ses compères. Respect et admiration revenaient à l’esprit de tous ceux qui se remémoraient les campagnes effectuées au sein de son équipage.

C’est le 19 janvier 1957 que le vieux capitaine jeta l’ancre de son trois-mâts dans le port de st Malo

L’équipage usé par ce long périple débarqua au crépuscule et envahit la première taverne qu’il trouva sur sa route. La bière coulait à flot et les marins s’apprêtaient à vite oublier leur dur labeur océanique dans un élan de débauche .Pourtant ce soir-là n’était pas ordinaire, la fête semblait plus joyeuse qu’a l’accoutumé, les cœurs étaient si légers que les corps fatigués semblaient encore en mesure de veiller une partie de la nuit. Au milieu de cette taverne crasseuse, se tenait, la jeune Anne, Elle avait une trentaine d’années et une silhouette plutôt fine, cachée par une élégante robe noire décorée de broderie. La fraîcheur de son teint et l’éclat de ses cheveux blonds contrastaient avec cet endroit lugubre. . Lorsqu’elle se mit à chanter pour les marins tout le vacarme ambiant s’arrêta instantanément. La voix angélique de cette jeune cantatrice résonnait dans tout l’établissement égayant le cœur de ces hommes qui n’avaient jamais rien entendu d’aussi gracieux. Les airs connus de tous qu’elle interprétait prenaient une autre dimension dans la bouche de cette jeune fille que certains comparaient déjà à une sirène.

La barbe rousse et touffue de notre vieux capitaine laissait s’échapper un large sourire que nul n’avait jamais vu auparavant, ses yeux bleus brillaient comme ceux d’un enfant laissant deviner l’entrain avec lequel son cœur palpitait dans sa poitrine. Lorsque le pianiste se tue, Anne leva son verre à la santé de nos valeureux marins, c’est à ce moment que le capitaine fit entendre sa voix : «  Que dieu bénisse cette petite ! » s’exclama-t-il. Anne s’approcha alors jusqu’à sa table  pour trinquer avec lui. Un grand silence régnait alors dans la salle tant l’assurance de cette demoiselle laissa bouche bée l’assistance. Leurs regards se croisèrent de nouveau un océan de sentiments semblait jaillir de leurs yeux qui étaient d’un même bleu turquoise.  « Papa ! » bredouilla la jeune fille d’une voix qui ne pouvait pas masquer les sanglots qui l’envahissaient. Il la saisit alors d’une grande embrassade, ses yeux s’emplirent de larmes. Il n’arrivait pas à croire que ce petit être abandonné à une nourrice sur le quai du port, la veille de son premier départ puisse être devenu une femme si radieuse.

Le pianiste repris alors son ouvrage avec un entrain des grands jours et cette danse de bonheur dura de longues minutes. L’ambiance de cette taverne ressemblait alors à celle d’une grande famille unie pour fêter un grand évènement. Après avoir savouré ces instants privilégiés le capitaine pris la parole tel un patriarche, il leva alors son verre et trinqua  et s’exclama « C’est pour moi  la dernière Escale !!! »

Le silence envahit à nouveau l’assistance qui comprit ce qui venait de se passer, l’amour paternel avait eu raison des errances de ce vieux loup de mer. Il brandit tel un trophée la clef qu’il gardait accrochée à son cou. « Hector !!! » s’exclama-t-il d’une voix solennelle et autoritaire. «  Je te confie la clef des secrets de ce vieux bâtiment, soit en digne sur terre comme en mer ». Il ordonna alors à sa fille de resservir les marins à la santé du nouveau capitaine.

Le jeune Hector avait le même âge qu’Anne mais ses nombreuses campagnes de pêche lui avaient donné l’apparence et l’expérience d’un marin expérimenté et même si certains auraient volontiers accepté une telle promotion, nul ne contesta la décision du vieux sage.

Trois jours plus tard, le navire d’Hector mit donc le cap sur les Acores pour entamer une nouvelle vie.

Chacun garda à jamais en mémoire cette escale unique où un vieux loup de mer devint père rappelant que la vie est un long voyage où  chacun navigue sur sa route sur laquelle nul ne peut prévoir à l’avance la prochaine destination.

Publié dans Vents de lettres

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